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Laurie, créatrice du studio de graphisme immersif Zompa Design, tenant entre ses mains une reproduction qu'elle a réalisée de la lettre de Poudlard des films Harry Potter.

Création d'escape game

Ce que le cinéma a compris sur l’immersion, et que vos expériences gagneraient à reprendre

Zompa

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13.12.2025

La lettre de Poudlard n’est pas qu’un accessoire. Comme le ticket d’or de Willy Wonka ou la carte des Goonies, elle raconte un monde. Dans les expériences immersives, le graphisme peut jouer exactement ce rôle : devenir un déclencheur d’histoire, au service de l’immersion.

Dans un film, chaque détail visuel peut servir le récit. Et si vos expériences immersives appliquaient les mêmes codes, pour que chaque élément graphique ancre le visiteur dans l’histoire… au point de lui faire oublier le monde réel ?

De la lettre de Poudlard aux expériences immersives

Quand on pense immersion, on pense souvent décors, scénographie, costumes, lumières, vidéo, bande-son… Mais il y a un petit héros discret qu’on oublie souvent : le graphisme.

Pourtant, au cinéma, il a déjà conquis ses lettres de noblesse. Vous vous souvenez de la lettre de Poudlard, du ticket d’or de Willy Wonka ou de la carte au trésor des Goonies ? Ces petits morceaux de papier sont bien plus que de simples accessoires : ce sont des déclencheurs narratifs, des messagers qui propulsent les personnages dans l’aventure. C’est ce rôle que j’ai choisi de faire jouer au graphisme dans les expériences immersives.

Formée au graphisme de film par la talentueuse Annie Atkins, j’ai décidé d’adapter ces techniques au monde des expériences immersives. Mon studio, Zompa Design, est spécialisé dans ce que j’appelle le graphisme immersif : un graphisme qui ne cherche pas à vendre l’expérience (comme un logo ou une affiche promotionnelle), mais à l’enrichir de l’intérieur. Avec un objectif simple : que chaque élément graphique (plan imaginaire, faux ticket de métro, journal d’un pays inventé) contribue à rendre l’univers plus crédible, plus vivant, plus réel.

L'illusion du vrai : l'exemple de Batman Escape

Parmi les projets marquants auxquels j’ai participé, Batman Escape occupe une place particulière. Cette expérience, imaginée par Dama Dreams, plonge les visiteurs au coeur de la ville fictive de Gotham City à travers trois escape games et un bar immersif.

Mon rôle durant un an et demi : créer tout ce qui permet de faire vivre la ville, au-delà du décor et du scénario. Cela passe par des éléments graphiques souvent discrets, mais essentiels :

Signalétique : plans de métro fictifs, panneaux directionnels, logos de services municipaux (électricité, pompiers, etc.) ;

Vie quotidienne : menus de restaurants, affiche annonçant la plante du mois chez le fleuriste, publicités locales inventées, annonce de chat perdu ;

Contexte socio-politique : affiches de campagnes électorales, tracts dénonçant la corruption, avis de recrutements de policiers et gardiens de prison.

(Et si vous regardez bien, vous pourrez même repérer quelques easter eggs pour les fans de l’univers DC Comics !)

Chaque élément vise à renforcer l’illusion que Gotham City existe réellement, bien au-delà du temps passé dans l’expérience. Le visiteur entre dans un monde parallèle qui fonctionne avec ses propres codes graphiques et références.

Un plan de métro pour la ville fictive de Gotham City - (Zompa Design, 2022)

Une seule méthode : observer le réel

Pour parvenir à ce niveau de détail, je m’appuie sur une méthode simple : observer. Je ne pars jamais d’une page blanche pour créer un document. Je cherche toujours des éléments réels sur lesquels m’appuyer. On pense souvent savoir à quoi ressemble un journal ancien par exemple, et il peut être tentant de se lancer sur la création d’un faux exemplaire « de tête »… Mais nos souvenirs sont souvent déformés par des clichés visuels issus de la fiction. C’est en observant vraiment le réel qu’on repère les petits détails (couleur de l’encre, style des photos, ton du texte…) qui rendront notre « faux » authentique.

Pour trouver des pièces de référence, je consulte des sites d’archives numérisées comme Gallica ou Europeana. Mais avoir de vraies pièces entre les mains, c’est toujours mieux. Je chine donc aussi dans les brocantes ou chez des antiquaires, où l’on trouve parfois des trésors introuvables en ligne : anciens tickets de bus, emballages de produits d’époque, lettres manuscrites jaunies… Et je demande aux voyageurs de mon entourage de me rapporter du monde entier leurs flyers, tickets de caisse et autres plans de métro !

Des journaux fictifs de plusieurs époques (années 50, 70 et 2020) pour le jeu d'enquête réaliste Dossiers Criminels - Les fantômes de Brandonsbury (Zompa Design, 2023)

Mais attention, il ne s’agit pas de copier trait pour trait. Pour des raisons à la fois juridiques et créatives, je m’inspire sans reproduire. Ce qui compte, ce n’est pas l’exactitude historique à tout prix : c’est la cohérence et la vraisemblance. Et parfois, un écart assumé peut même servir le storytelling visuel. Par exemple, le fameux tableau d’enquête de polices avec fils rouges reliant photos et indices n’est pas très réaliste… mais il parle instantanément au public.

Dans une expérience immersive, chaque élément graphique est une opportunité de renforcer la crédibilité de l’univers. Le graphisme n’est pas un simple détail : c’est un acteur à part entière, porteur d’informations, de narration, d’émotions. Lorsqu’il est bien intégré à l’univers, il devient invisible. Et c’est justement là qu’il est le plus efficace.

Article publié à la suite de mon atelier du 8 avril 2025 aux Journées de l'Immersif et publié dans le livre blanc 2025 de JeDI, organisateur de l'évènement.